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Bouillant de culture

Une semaine au comptoir du tiers-lieu

Reportage | 10 décembre 2022

Aude Latar­get aime mélan­ger les gens, et ça se voit. L’épi­ce­rie soli­daire mixte qu’elle vient d’ou­vrir dans les locaux du tiers-lieu Aux Manettes, à Limoux, donne au bâti­ment qui l’ac­cueille une fonc­tion de plus, parmi les autres : espace de cowor­king, FabLab, lieu de concerts et d’ate­liers, café asso­cia­tif… C’est un espace pluriel qui change d’am­biance au rythme de la valse de ceux qui le peuplent. Et dans lequel il faut, pour le saisir réel­le­ment, lais­ser traî­ner ses yeux et ses oreilles quelques jours. Au cœur de la marmite, on peut savou­rer, aux côtés d’Aude, le spec­tacle de la vraie vie…

Rédacteur

Aurélien Culat

«  On ne s’adresse pas qu’à des personnes iden­ti­fiées comme ayant socia­le­ment besoin d’un petit coup de pouce : on s’adresse à tous et ce qui est inté­res­sant, c’est que tout ce petit monde se mélange ! Parce que c’est ça, la vraie vie ! »

Mardi 10h : Café papote

« Qui veut un café ?! » Anne-Cécile sort de derrière le comp­toir alors qu’Aline prend place à une table du café asso­cia­tif, aux côtés de Natha­lie. Cette dernière est béné­vole depuis quelques jours à L’Equi­page, l’as­so­cia­tion qui emploie Aude et qui, depuis 2020, fait souf­fler au tiers-lieu un vent de folie grâce aux finan­ce­ments qu’elle reçoit de la Caisse d’Al­lo­ca­tions Fami­liales. Ecri­ture, couture, dessin, auto-massage, média­tion numé­rique… les rencontres gratuites se sont multi­pliées et les usagers du lieu aussi. Le label d’« Espace de Vie Sociale » permet notam­ment de rému­né­rer Anne-Cécile Véri­cel, accom­pa­gna­trice à la paren­ta­lité et membre de Sapie, la coopé­ra­tive qui a créé et héberge le tiers-lieu, afin qu’elle anime des « Cafés Papote », un temps de rencontre infor­mel ouvert à tous les parents.

Le programme mensuel du tiers-lieu n’an­nonçait pas de thème parti­cu­lier pour la rencontre du jour : «  Parfois je propose les sujets à l’avance, en fonc­tion des demandes, précise Anne-Cécile. Le but, c’est la rencontre des gens avec lesquels on n’au­rait pas l’oc­ca­sion d’échan­ger. Ici, on est en confiance pour parler de soi.  » Aline raconte : «  J’ai eu une petite il y a dix mois et je suis venue au début pour des trucs de base comme le portage : je ne savais pas comment mettre l’écharpe ! Le sujet qui me préoc­cupe main­te­nant, c’est que je ne lui ai jamais mis de chaus­sures et qu’elle essaye de les reti­rer dès que je lui en mets !  » Alors que la discus­sion s’en­gage, une nouvelle parti­ci­pante fait irrup­tion : Auré­lie arrive avec sa petite Agathe, huit mois et de solides baskets lacées aux pieds.

Aude apporte des pommes et des cookies. Une dame entre et demande une connexion wifi : elle rejoint deux autres personnes atta­blées quelques mètres plus loin avec des ordi­na­teurs prêtés par L’Equi­page. Leur usage est gratuit. À la table du Café Papote, la conver­sa­tion roule sur la diffé­rence entre avoir un, deux ou trois enfants. «  Atten­tion, à partir de deux, tu es en infé­rio­rité numé­rique  », prévient Anne-Cécile sur le ton de la blague.

« Parfois je propose les sujets à l’avance, en fonc­tion des demandes. Le but, c’est la rencontre des gens avec lesquels on n’au­rait pas l’oc­ca­sion d’échan­ger. Ici, on est en confiance pour parler de soi. » Anne-Cécile

Mercredi 17h30 : Soirée de soutien aux réfu­giés

« Nous, la jour­née inter­na­tio­nale des réfu­giés, on la fait toute la semaine ! » lance Aude en finis­sant de prépa­rer son houmous. Les premiers invi­tés arrivent et visitent, sous le grand barnum planté dans le jardin, une expo­si­tion de photos réali­sée à la suite d’un stage d’été au tiers-lieu. Dédiés à l’éloge des diffé­rences, les clichés mêlent des portraits des jeunes du terri­toire et des jeunes migrants réunis pour le stage.

Une voix sort d’une enceinte : « Hello, welcome every­body ! » Au micro, Chris­tine Ratzel-Togo, la direc­trice du Centre d’ac­cueil de deman­deurs d’Asile (CADA) de Limoux. Géré par France Terre d’Asile, il accueille en perma­nence autour de 80 personnes, dont un bon nombre dans l’as­sis­tance. « On a accueilli 350 personnes au CADA depuis 2017 », explique Chris­tine avant de devoir s’ar­rê­ter net, la gorge serrée par l’émo­tion. Les applau­dis­se­ments pleuvent. C’est main­te­nant au tour de Maha­ma­dou, 21 ans, arrivé de Côte d’Ivoire il y a cinq ans, de remer­cier les Appren­tis d’Au­teuil : « Aujour­d’hui, chacun de nous a un métier : je suis auxi­liaire de vie à domi­cile », assène-t-il fière­ment.

Alors qu’une chorale locale, Les Enchan­teurs, commence à enton­ner des reprises de pop des années 70, l’as­sis­tance découvre au buffet des spécia­li­tés des pays repré­sen­tés au CADA. À l’in­té­rieur, une habi­tuée, Elisa­beth, est accou­dée au comp­toir : « J’ha­bite juste à côté, j’ai entendu de la musique et je suis venue voir. » Elle est en pleine discus­sion avec Alex qui passe un coup de chif­fon entre deux encais­se­ments. Respon­sable de la comp­ta­bi­lité de l’as­so­cia­tion L’Equi­page, il donne aussi de précieux coups de main à Aude, occu­pée main­te­nant à couvrir de compli­ments son amie Hazar, archi­tecte écolo­gique et cuisi­nière à ses heures, « la béné­vole qui nous a permis de propo­ser à manger ce soir ! » Dehors, un duo de swing main­tient l’am­biance dans le jardin plein à craquer.

Alors qu’une chorale locale, Les Enchan­teurs, commence à enton­ner des reprises de pop des années 70, l’as­sis­tance découvre au buffet des spécia­li­tés des pays repré­sen­tés au CADA.

Jeudi 19h30 : heures sup au FabLab et soirée jeux

Mélissa redresse la partie supé­rieure de sa presse chauf­fante et découvre le résul­tat : une plaque bigar­rée a remplacé les rangées de bouchons de plas­tique qu’elle avait placés là il y a quelques secondes. «  C’est pas mal, mais je dois mieux régler le temps de chauffe, je n’ai pas encore de process : c’est expé­ri­men­tal », confie la jeune tren­te­naire au milieu du FabLab, l’es­pace de créa­tion manuelle du tiers-lieu bardé de machines impres­sion­nantes, de l’im­pri­mante 3D à la décou­peuse laser. Le lieu accueille des « repair cafés » toutes les deux semaines, où chacun est invité à venir apprendre à répa­rer, gratui­te­ment, ses objets du quoti­dien. En dehors de ces rendez-vous, Mélissa peau­fine son projet d’ac­ti­vité écono­mique à partir de récu­pé­ra­tion de plas­tiques refon­dus en objets du quoti­dien : des bijoux, des présen­toirs, des meubles…

«  Il n’y en a que pour Mélissa ici, tous les gens viennent pour elle  », s’amuse Chris­tophe, anima­teur de l’Aci­Lab, le chan­tier d’in­ser­tion numé­rique installé au FabLab. C’est ici que la jeune femme s’est formée l’an dernier, avant de conti­nuer à utili­ser un coin d’ate­lier pour lancer son propre projet. D’autres suivront peut-être : une dizaine de personnes en inser­tion profes­sion­nelle s’ac­tive autour des ordi­na­teurs et des machines pour parfaire son appren­tis­sage de la modé­li­sa­tion 3D et d’autres savoir-faire du XXIe siècle.

Dans le jardin, Emery et son tablier jaune papillonnent entre les jeux en bois dispo­sés sous le grand barnum. Employé de Lud’Aude, la ludo­thèque de Couiza, il glisse ici les règles d’une sorte de hockey de table, parti­cipe là à une partie endia­blée de double flip­per.

Près du pota­ger et à l’in­té­rieur du café, trois tables de jeux sont dispo­sées. Parmi la ving­taine de personnes présentes, on recon­naît de nombreux visages présents la veille à la soirée dédiée aux migrants. Aude enchaîne un deuxième soir de présence et commence à sentir la fatigue des heures supplé­men­taires, mais l’am­biance est très douce. La soirée, mensuelle, est l’une des nombreuses sorties de Lud’Aude hors les murs. Les jeux repar­ti­ront à la fin de la soirée. Contrai­re­ment aux ouvrages dispo­sés sur les rayons du « Bateau Livre », la biblio­thèque en accès libre qui garnit un mur du café.

Dans le jardin, Emery et son tablier jaune papillonnent entre les jeux en bois dispo­sés sous le grand barnum. Employé de Lud’Aude, la ludo­thèque de Couiza, il glisse ici les règles d’une sorte de hockey de table, parti­cipe là à une partie endia­blée de double flip­per.

Vendredi 12h30 : Café cantine

Sarah et Luc, coopé­ra­teurs à Sapie, s’ac­tivent pour finir de dres­ser les assiettes. La cuisine est un outil central dans la mission de L’Equi­page : «  Une semaine sur deux, il y a un atelier cuisine, on y apprend des recettes et on ramène à manger chez soi  », explique Aude. La semaine suivante, c’est « café-cantine », un repas à tarif unique durant lequel un acteur du terri­toire est invité à se présen­ter ou à présen­ter sa struc­ture aux usagers habi­tuels du lieu.

Devant la ving­taine de convives du jour, atta­blés sous le barnum du jardin, Yasin prend la parole. Employé par France Terre d’Asile, il est arrivé en France fin 2020 en prove­nance d’Af­gha­nis­tan, et tient à démon­ter les idées reçues sur les exilés : «  Est-ce que vous savez quels pays accueillent le plus de migrants ? D’abord la Turquie, la Colom­bie, l’Ou­ganda, le Pakis­tan, puis l’Al­le­magne.  »

Mardi 14h : Atelier couture

« Virgi­nie, tu as déjà posé une ferme­ture éclair ?  » demande Isabelle en prépa­rant une des trois machines à coudre de l’Equi­page. Face à elle, Frédé­rique est venue avec sa propre machine, dont on lui a fait cadeau récem­ment. Objec­tif de l’ate­lier du jour : «  Une trousse avec une ferme­ture éclair, et si on a le temps on fera un autre type de trousse, pour ranger les écou­teurs  » explique Isabelle, qui a lancé sa boutique de créa­teurs en centre-ville de Limoux et propose ces ateliers mensuels depuis un an et demi.

Au comp­toir du café, Martine remplace Aude au service. Elle est là pour quelques jours de béné­vo­lat. Dans le jardin, Alexan­dra et Ramiro ont emprunté un ordi­na­teur pour prendre leur cours de français en ligne. À l’in­té­rieur, l’ate­lier bat son plein : «  Le surjet, pourquoi on le fait, les filles ? Pour pas que ça s’ef­fi­loche ! Les indus­triels ne le font pas, mais moi je veux vous apprendre à bien coudre ! » Clau­dine, une habi­tuée de l’ate­lier, arrive trop en retard pour se lancer dans une trousse. Frédé­rique, elle, n’est pas sûre d’en venir à bout : «  Il va me falloir des années à ce rythme-là ! souffle-t-elle. Avant d’ajou­ter en riant : Mais c’est un tel plai­sir de venir à l’ate­lier !  » Aude revient au moment où le rire se propage à la table : «  Ça fait plai­sir de voir ça, les gens sont enchan­tés en repar­tant de l’Equi­page !  »

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