Des légumes paysans pour repousser la faim
Les pieds dans la terre et le cœur sur la main. Réunis par la Maison Paysanne de l’Aude, des producteurs ont mis en place des paniers solidaires pour lutter contre la précarité alimentaire dans la Haute-Vallée de l’Aude.
Il est presque 11 heures quand Marie-Christine se gare sur le parking des Jardins de la Haute Vallée, à Couiza, le coffre plein de bocaux. Un ouf de soulagement parcourt l’assistance, réunie dans le hangar de l’atelier de transformation coopératif : tous les produits de la semaine sont là, il ne reste qu’à partir en livraison. L’épicerie paysanne, ambulante et solidaire (EPAS), lancée par les producteurs de la Haute-Vallée de l’Aude en avril 2020 lors du premier confinement, a un fonctionnement bien huilé : tous les vendredis matins, les producteurs apportent au point de rendez-vous leurs produits commandés sur le site Internet, avant d’assurer eux-mêmes la tournée aux quatre coins de la vallée. D’ici midi, une vingtaine de villages sera fournie en produits de saison – et bio pour la grande majorité. Marie-Christine, elle, hérite d’une livraison proche, mais particulière, puisqu’elle redémarre maintenant vers une boutique de fripes de Quillan tenue par l’antenne locale du Secours Catholique. C’est là, chaque semaine, que l’adjectif « solidaire » accolé à l’épicerie prend tout son sens.
D’ici midi, une vingtaine de villages sera fournie en produits de saison – et bio pour la grande majorité.
Poussée de fèves
La
ruelle du centre-ville qui accueille la boutique Aud’habits s’agite
au moment où Marie-Christine ouvre le coffre, et ce dernier est
déchargé en moins de deux minutes par des paires de bras bénévoles.
Les cagettes de choux-fleurs, artichauts, fèves, fromages frais, blettes et persil sont immédiatement prises en charge dans
l’arrière-boutique, où Marie-Odile coordonne la répartition des
produits par paniers individuels ou familiaux. « Aujourd’hui on a 13 familles et 5 personnes seules »
explique-t-elle, les yeux sur son tableau récapitulatif. À ses
côtés, Stéphanie enfourne 750 grammes d’asperges dans chaque
portion familiale : un luxe à 9 euros le kilo qu’on pourrait
s’étonner de trouver ici. « Un
panier comme celui-ci vaut 20 euros,
confirme Marie-Odile, mais
la famille ne paiera que 4 euros. Et un panier pour une personne
seule, qui vaut 12 euros, est payé 2 euros. »
Le reste est pris en charge par le Secours Catholique, qui
distribuait auparavant des bons à dépenser dans un supermarché, et
par l’Epicerie Paysanne, qui propose à ses clients d’abonder une
caisse de solidarité lors de leurs commandes.
Chaque vendredi soir, après la distribution, Marie-Odile passe un coup de fil à Thomas Galland, salarié de la Maison Paysanne de Limoux et coordinateur de l’épicerie, pour lui donner le nombre de personnes intéressées. « Ils payent à la commande, précise-t-elle : ça engage un peu plus les gens. » À Thomas de composer ensuite le menu avec les produits disponibles auprès des producteurs. « Les bénéficiaires sont très contents, assure Marie-Odile. En plus, les producteurs ont été très gentils : la dernière fois, ils ont offert un panier pour les bénévoles, ils nous ont remerciés. C’est agréable ! » Stéphanie, toujours affairée à répartir les légumes, confie dans un sourire qu’elle est arrivée là en venant chercher un panier pour elle : « Et puis ça m’a plu et maintenant je suis à la boutique tous les vendredis ! Mais aussi tous les mardis, et quand il y a des absences. On met beaucoup d’amour dans ce qu’on fait, c’est très familial, c’est ma deuxième maison ! » Marie-Odile confirme, l’air espiègle : « Le jour où il y avait des pommes, des pommes de terre et des noix, tout en vrac à peser, on s’est bien amusées ! »
« Les bénéficiaires sont très contents, assure Marie-Odile. En plus, les producteurs ont été très gentils : la dernière fois, ils ont offert un panier pour les bénévoles, ils nous ont remerciés. C’est agréable ! »
Coup de frais sur les paniers
Un autre bénévole, Jonathan, semble un peu désolé : il n’a pas préparé de gâteau à partager cette semaine, faute de finances. Pour lui aussi, le panier des paysans est décisif, d’autant qu’il ne mange pas de produits animaux. « Ils les remplacent par d’autres légumes, juste pour moi, et ça, ils ne le font pas ailleurs, explique-t-il. D’habitude, dans les autres distributions, on m’en enlève… » En plus des œufs, de la farine et des fromages de ferme, la diversité et la qualité des légumes revient dans la bouche des bénéficiaires comme des bénévoles. « C’est la première fois que je mangeais des petits pois frais ! », se souvient Stéphanie. Rolande, qui vient de récupérer un panier familial pour elle et sa fille, arbore un grand sourire en sortant de la boutique : « Heureusement que je peux venir ici, parce qu’acheter autant de légumes, je ne peux pas. Le marché, je ne peux pas y aller. J’ai aussi la distribution du Secours Populaire et des Restos du Cœur tous les quinze jours, et de la Croix-Rouge tous les mercredis. Mais du frais comme ça, les asperges et les fèves, on ne les trouve qu’ici ! On contribue, avec 4 euros, mais ça change beaucoup. Heureusement qu’ils sont là et qu’ils font ça pour nous », confie la mère de famille, qu’un handicap empêche de travailler. Dans la boutique, une cliente venue pour les fripes en profite pour s’inscrire aux paniers. « Je te dirai en fonction des ressources pour savoir si tu l’auras chaque semaine ou tous les quinze jours », lui explique Marie-Odile. Contraints par le budget de l’association, les bénévoles demandent des justificatifs et des déclarations de revenus pour prioriser les plus démunis. Le contrôle n’est toutefois pas trop strict : « Il vaut mieux donner à quelqu’un qui n’y aurait pas droit plutôt que de refuser à quelqu’un qui y aurait droit », confie Marie-Odile. Un cas de conscience se présente d’ailleurs à elle, en la personne d’une bénéficiaire qui a quatre paiements de retard et les poches vides. « On peut repousser à la semaine prochaine ? », demande la jeune femme. Marie-Odile esquisse une moue. « OK, ça te fera 6 paniers à régler. Mais ne le dis pas, il ne faut pas que tout le monde fasse comme ça ». Couverte de remerciements, la bénévole remet le nez dans sa feuille de comptes d’un air sérieux. Il faut encore passer la commande de la semaine prochaine, afin que la boutique continue de voir défiler les paniers paysans et solidaires.