Cuisiner ensemble pour hacher menu la précarité
Pour offrir un bol d’air aux personnes isolées par les difficultés économiques, les associations locales réunies autour du Projet Alimentaire Territorial organisent des ateliers de cuisine, des balades comestibles et des rencontres avec les paysans locaux. Un programme aux petits oignons.
Une délicieuse odeur sucrée s’échappe d’une grande marmite : la confiture de pêche commence à prendre. Un nuage passe dans le ciel de Quillan. Pour un instant, les rayons du soleil d’été épargnent le Jardin des Colibris, au milieu duquel Manu remet du bois de cagette dans le poêle à bois auto-construit qui maintient la confiture au bord de l’ébullition. À ses côtés, Marjorie et Aurélien empilent dans une autre marmite les pots de coulis de tomates pour les stériliser. Les quantités sont impressionnantes, mais pour éplucher et découper ces 30 kilos de fruits et légumes, les bénévoles ont pu compter sur la participation d’une quinzaine de personnes. L’occasion pour ces dernières d’apprendre des recettes simples et d’emporter chez elles les précieuses préparations. C’est la deuxième journée de mise en pots organisée dans le cadre des ateliers « Manger équilibré pour 3 fois rien » mis en place par le Projet Alimentaire Territorial (PAT) de la Haute-Vallée, qui s’est fixé comme objectif de faire reculer la précarité alimentaire sur le territoire.
Frappée de plein fouet par les délocalisations industrielles, la communauté de communes de Quillan est l’une des zones les plus défavorisées de France : le chômage culmine à 20 % et le taux de pauvreté dépasse 26 %. Porté par la Maison Paysanne de l’Aude, le PAT met en lien des associations locales familières de l’alimentation durable comme Nature et Progrès dont Manu est bénévole, et RIHVA dont sont membres Marjorie et Aurélien, avec des structures spécialisées dans la lutte contre la précarité comme Médecins du Monde, le Secours Catholique, Aude Urgence Accueil et les Restos du Cœur. Les uns apportent le matériel et les légumes récupérés à bas prix auprès de producteurs locaux, les autres diffusent l’invitation auprès des personnes qu’elles accompagnent au jour le jour et se proposent de les amener à l’atelier.
Porté par la Maison Paysanne de l’Aude, le PAT met en lien des associations locales familières de l’alimentation durable comme Nature et Progrès avec des structures spécialisées dans la lutte contre la précarité comme Médecins du Monde, le Secours Catholique, Aude Urgence Accueil et les Restos du Cœur.
Châtaignes, champignons et yaourts
Les participants sont maintenant rassemblés autour de Patricia Larcher, une diététicienne de Limoux, qui explique les principes de la lacto-fermentation. Sur une grande table dressée sous les arbres, les économes et les couteaux d’office s’activent pour réduire concombres et poivrons en morceaux assez petits pour remplir des pots d’eau salée. Catherine, présidente de l’association Le Jardin des Colibris, est heureuse d’accueillir l’atelier après avoir participé à sa première édition, à Rouvenac l’été passé : « Je suis toujours étonnée qu’il y ait des gens qui passent autant de temps et d’énergie pour les autres ! J’ai trouvé ça extraordinaire, mais vraiment extraordinaire que des personnes mettent leur temps, leur savoir, leur matériel et leur énergie pour nous apporter des savoir-faire. On est tous ressortis avec 5 bocaux de tomates et 4 bocaux de lacto-fermentation, et nous nous sommes sentis riches d’enseignements et de produits ! » Les pots de confiture sont maintenant remplis et retournés, le coulis est stérilisé, l’atelier touche à sa fin. Mais le programme continue : « À la rentrée, on va aller sur une ferme à Gincla pour découvrir la récolte et la préparation des châtaignes, explique Marine Mertz, animatrice du Projet Alimentaire Territorial. Ensuite, on aura une autre sortie, à la découverte des champignons, avec une visite d’une production de shiitake à Saint-Jean de Paracol puis une balade en forêt avec une mycologue. » Les participants aux ateliers qui ont lieu depuis 2 ans, la plupart du temps sur des fermes bio, ont notamment pu apprendre à mieux cuisiner la viande et à faire des yaourts. « Cette année, on a aussi fait un atelier de découverte des plantes sauvages sur une ferme vers Sougraigne, complète Marine. On y a découvert les qualités en cuisine de plantes fréquentes : le millepertuis, l’ortie… Et on a fait des transformations pour pouvoir les conserver. »
« J’ai trouvé ça extraordinaire, mais vraiment extraordinaire que des personnes mettent leur temps, leur savoir, leur matériel et leur énergie pour nous apporter des savoir-faire. On est tous ressortis avec 5 bocaux de tomates et 4 bocaux de lacto-fermentation, et nous nous sommes sentis riches d’enseignements et de produits ! »
Prendre goût à la rencontre
L’objectif des ateliers est d’abord d’accompagner les personnes en précarité dans une démarche alimentaire plus saine et plus locale, mais sans coûts supplémentaires. « Il s’agit de leur montrer qu’elles sont déjà capables de cuisiner et de valoriser leurs savoir-faire notamment par des partages de recettes, précise Marine. Et puis nous voulons leur permettre d’avoir une journée loin de leurs soucis quotidiens, créer un environnement de confiance pour ces personnes, leur faire vivre des expériences positives, pour qu’elles passent simplement une bonne journée. » Un objectif largement atteint pour Flavienne Mazardo-Lubac, coordinatrice de la Mission Locale de Médecins du Monde en Haute-Vallée de l’Aude : « 27 personnes sont venues à au moins un atelier, et 6 ou 7 à au moins 3 ateliers. Ça se renouvelle, mais il y a un groupe de participants vraiment réguliers. Et il y a des personnes qui se revoient en dehors, qui s’appellent, alors qu’elles ne se connaissaient pas avant les ateliers ! » Les paysans aussi prennent goût à ces visites. « Une productrice qui avait co-animé un atelier sur une autre ferme l’an dernier est revenue vers nous en demandant si elle pouvait accueillir sur sa propre ferme, raconte Marine, ravie de créer du lien entre paysans et personnes en précarité. Si l’on veut refaire un système alimentaire plus équitable, il faut faire connaître les différents enjeux de chaque côté, pour qu’il soit plus facile de faire un pas vers l’autre. » Ces rencontres risquent pourtant de rester sans suite dès la fin de l’automne : « On est partants pour continuer les prochaines années, mais c’est une question de finances » explique Marine. Les fonds reçus l’an dernier par le PAT dans le cadre du Plan de Relance sont bientôt épuisés et les ateliers, pourtant peu coûteux, sont directement menacés. Il faudrait prendre sur les budgets de fonctionnement des associations partenaires, ou aller chercher une nouvelle enveloppe en répondant à un appel à projets des financeurs habituels : la région, l’Etat, l’Union Européenne ou les fondations privées. La faim justifiant les moyens, Marine, Flavienne et les autres vont maintenant chercher à garder la dynamique qu’elles ont lancée en espérant que quelqu’un pourra remettre au pot commun.